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Guillaume Dietsch : « Les Jeux de Paris n’ont pas modifié la perception que nos gouvernants ont de l’activité sportive »

Six mois après les Jeux de Paris, l’enseignant agrégé d’EPS (Education Physique et Sportive) Guillaume Dietsch, auteur des ouvrages Les jeunes et le sport et Une histoire politique de l’EPS (tous deux édités par De Boeck Supérieur), dresse un bilan contrasté de l’héritage sportif de cet évènement, dont les retombées pour le « sport pour tous » ne sont selon lui pas à la hauteur de ses promesses et de sa réussite sportive et organisationnelle.

Le projet de loi de finances actuellement en débat au Sénat prévoit de réduire de 33% le budget accordé au ministère des Sports, passant de 909 millions d’euros en 2024 à 607 millions d’euros cette année. Comment expliquez-vous cette baisse, quelques mois après la réussite des Jeux olympiques et paralympiques ?

Il y a une confusion entre le sport-spectacle qui se regarde et le sport pour tous qui se pratique dans le milieu amateur. On perçoit bien le décalage entre la réussite des athlètes français et le financement du sport. Ce décalage est également visible à la réaction des politiques après la tribune publiée dans L’Équipe [425 athlètes des Jeux de Paris, dont Teddy Riner, Mélina Robert-Michon et Nicolas Batum ont exprimé leur opposition à la baisse des crédits sports le 21 janvier, et Emmanuel Macron a déclaré le lendemain qu’ils avaient « raison » de le faire). De l’autre côté, une tribune a été publiée dans Le Parisien avec 5 000 acteurs du sport [le 22 janvier], essentiellement des hommes politiques et des acteurs associatifs, et là il n’y a pas eu de réaction particulière.

Le gouvernement précédent a investi bien en amont des Jeux sur la très haute performance, et aujourd’hui ces coupes budgétaires vont à l’encontre du système sportif français, qui repose beaucoup sur les financements publics. Les Jeux n’ont donc pas modifié la perception que nos gouvernants ont de l’intérêt de l’activité physique du sport dans un pays, puisqu’ils n’ont pas souhaité capitaliser sur l’évènement pour a minima maintenir les crédits accordés au sport.

Les baisses de budget accordé au sport concernent aussi les collectivités locales, par exemple la mairie de Paris. Comment y réagissez-vous ?

Les collectivités locales doivent faire des économies à toutes les échelles, et le plus souvent le sport fait un peu les frais de ces baisses de budget. Le sport reste une variable d’ajustement, puisque n’est pas perçu l’importance de la culture sportive sur d’autres sujets comme la santé, l’écologie et l’éducation. Le sport est vu comme un loisir, voire comme un divertissement, et non comme une culture. Il y a donc une vraie crainte qu’on n’ait pas le soutien suffisant pour poursuivre le développement de la pratique sportive pour toutes et tous. 

Dans une tribune publiée par le média AOC, vous évoquez la « disparition de certains dispositifs qui fragilisent les promesses d’un héritage durable ». De quels dispositifs parlez-vous ?

Je pense en premier lieu au Plan 5000 équipements [visant à construire 5 000 équipements sportifs sur le territoire national], dont les crédits sont gelés pour le moment. C’était un projet dédié au sport pour tous, mais pour l’instant le compte n’y est pas, sauf retournement budgétaire. Il y avait également un plan visant à recruter 1000 éducateurs sportifs pour répondre à un objectif d’insertion, qui a été complètement annulé.

Enfin, il y a deux dispositifs emblématiques qui ont été remis en question : celui des 30 minutes d’activité physique quotidienne à l’école, dont un rapport sénatorial a remis en cause l’efficacité et la mise en œuvre, et le dispositif « 2 heures supplémentaires de sport au collège », pour lequel un rapport de l’Inspection générale a mis en évidence des résistances et des difficultés de mise en œuvre. Il n’a pas été supprimé, mais réduit et recalibré pour se concentrer uniquement sur des collèges en réseau d’éducation prioritaire, ce qui est selon moi un renoncement car il était censé être généralisé à l’ensemble des établissements après les Jeux. 

Que représente selon vous l’annulation ou la mise en œuvre délicate de ces dispositifs ?

Cela va à l’encontre de l’ambition de Paris 2024. On est sur la même tendance que Londres en 2012, avec un contexte budgétaire très similaire. Ce que la plupart des universitaires ont montré, c’est qu’à partir du moment où il n’y a pas d’accompagnement au bénéfice de l’ensemble de la population, il n’y a pas d’héritage concret. A Londres, il y avait même eu une augmentation des inégalités d’accès au sport en fonction du milieu social et du handicap, et c’est ce que l’on craint dans le cas de Paris 2024.

Quel impact les Jeux de Paris ont-ils eu sur la pratique sportive en région parisienne ?

Les Jeux ont permis un engouement pour la pratique sportive, mais un engouement finalement éphémère, sur quelques mois. De nombreuses fédérations sportives ont constaté une hausse du nombre d’adhésions, mais dans certaines régions et pour certains sports, il y a parfois une demande d’inscription sur 4 qui a été refusée par manque de places ou d’éducateurs.

Toutes les fédérations ont reçu de la part du Ministère des Sports un « guide d’anticipation » mais sans moyens concrets, l’idée était surtout d’optimiser au mieux des créneaux et des installations déjà saturés.

Constatez-vous ce décalage entre une hausse de la demande et des difficultés à accueillir les nouveaux pratiquants dans votre département de STAPS à Créteil ?

La filière STAPS est la filière la plus demandée de l’Université de Créteil, qui compte près de 40 000 étudiants. Je n’ai pas de chiffres sur l’impact des Jeux au niveau des inscriptions, sachant que la procédure Parcoursup a eu lieu avant les JO. Par contre, en tant que service public, les Jeux n’ont pas eu d’impact sur notre quotidien. On a les mêmes difficultés que les clubs et les associations pour accueillir et proposer des créneaux d’enseignement à nos étudiants.

Nos installations aussi sont vétustes : on parle de fuites d’eau dans un gymnase, d’un tartan [le matériau synthétique des pistes d’athlétisme] abîmé qui met en situation d’insécurité les personnes qui s’entraînent, du fait de devoir compter systématiquement le nombre de volants pour un cours de badminton… Ça atteint un niveau assez problématique.

L’approche adoptée par les Jeux de Paris était de s’appuyer principalement sur les installations existantes, et que les rares bâties de toutes pièces à Paris soient ensuite accessibles au public (centre aquatique de Saint-Denis, Arena Porte de la Chapelle). Six mois après les Jeux, quel bilan faites-vous de l’utilisation de ces installations au plus grand nombre ?

Ce sont plutôt des bonnes initiatives pour favoriser le sport pour tous. Par exemple, le centre aquatique de Saint-Denis doit ouvrir ses portes en partie cette année avec de nombreuses installations différentes financées en partie par des structures marchandes, afin de partager les coûts avec la collectivité territoriale. Le bassin où Léon Marchand a obtenu toutes ses médailles va également être transféré à Sevran, ce qui va dans le bon sens, alors que la Seine-Saint-Denis est l’un des départements avec le plus faible nombre d’installations rapportées au nombre d’habitants.

Concernant l’Arena Porte de la Chapelle, il est à disposition du Paris Basket, mais très peu de créneaux sont disponibles pour le grand public et les clubs aux alentours, ce qui révèle une nouvelle fois la priorité donnée aux sport professionnel sur le sport pour tous.

Les Jeux de Paris portaient aussi la promesse de permettre aux Parisiens de se baigner dans la Seine, avec diverses zones de baignade accessibles à partir de l’été 2025. Quel impact cela pourrait avoir sur l’activité sportive dans l’agglomération parisienne ?

C’est un sujet très très intéressant pour montrer cette évolution nécessaire des mentalités. Le fait de rendre accessible la baignade dans la Seine, cela permettrait de montrer que la ville est un espace de sport comme un autre. On parle beaucoup de budget, mais peu d’une nouvelle vision, qui permettrait de rendre accessibles de nouveaux espaces.

L’une des promesses fortes de Paris 2024 était de favoriser l’inclusion par le sport des personnes en situation de handicap. Quel bilan faites-vous de cet objectif ?

Il y a plusieurs points positifs, notamment la médiatisation inédite de cet évènement qui est une vraie réussite. Dans le programme d’héritage, il y aussi eu la création des clubs sportifs inclusifs, qui permettent de rendre des installations accessibles, avec des éducateurs formés à l’activité physique adaptée. 

Tony Estanguet [président du Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024] a parlé de faire une « révolution culturelle », estimant les Jeux Paralympiques peuvent « changer le regard « sur le handicap. Ça a été le cas, mais après l’évènement le développement du parasport nécessite des moyens qui ne sont pas vraiment au rendez-vous. La baisse des crédits sports touche en particulier le parasport. On voit bien une nouvelle fois l’ambivalence entre les annonces et la réalité.