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« Sans nous, le monde prend l’eau » : le métier de couvreur-zingueur, un savoir-faire en quête d’avenir

L’Unesco a ajouté le 4 décembre dernier à sa liste du patrimoine culturel immatériel le savoir-faire du métier de couvreur-zingueur. Une reconnaissance bienvenue alors que la profession, qui subit une pénurie de main d’oeuvre, tente de perpétuer ses traditions auprès des jeunes.

« Ce point de mouchoir, vous allez le rabattre dans ce sens-là, et l’autre dans celui-là. » Dans un jargon bien spécifique – il est question de bissectrice ou d’enclume – Éric Marie, 57 ans, formateur en couverture-zinguerie à l’Éco Campus du bâtiment de Vitry-sur-Seine, donne les consignes de l’exercice du jour. Derrière lui, une dizaine de jeunes prennent des notes sur leurs cahiers. « Allez lancez-vous, essayez, trompez-vous. Et je suis certain que vous allez trouver une solution », conclut le professeur avec son veston en cuir et ses chaînes à la ceinture au style motard.

Sous l’immense halle de l’école, le bruit des marteaux et le crissement du zinc s’entrelacent. Dans cet atelier baigné de lumière, les jeunes de la mention complémentaire « couvreur-zingueur » essaient de reproduire les gestes traditionnels de leur professeur. Il est là, au centre, entouré de ses élèves curieux et appliqués. « Il faut que votre soudure soit effectuée au niveau de cette bissectrice », indique-t-il en pointant du doigt une partie d’une maquette de la toiture d’entraînement. 

Éric Marie (au centre) apprend à ses élèves les gestes du métier sur une petite feuille de zinc. © Eloi Thouault

Le 4 décembre dernier, l’Unesco a ajouté à sa liste du patrimoine culturel immatériel le savoir-faire des couvreurs-zingueurs. Une véritable reconnaissance pour ces façonneurs des toits de Paris « trop souvent invisibilisés » pour Gilles Mermet, président du comité de soutien à la candidature des toits de Paris au Patrimoine Mondial de l’Unesco. «Ce que l’on voulait d’abord, c’était faire connaître le geste, ce métier qui se transmet de génération en génération », explique ce photographe qui est tombé amoureux des toits de la capitale en travaillant sur un livre pour le syndicat de la profession.

Un manque de 500 couvreurs-zingueurs à Paris

Ce classement revêt également des apparences de tremplin pour une profession sous tension en raison d’une pénurie de main d’œuvre. Tous les jours, près de 2500 couvreurs travaillent sur les toits de Paris, et « il en manquerait entre 500-600 chaque matin », selon Mériadec Aulanier, secrétaire général du GCCP (le syndicat des entreprises de Génie Climatique et Couverture Plomberie). Certaines entreprises sont même obligées de sous-traiter car elles ne parviennent pas à recruter. Un problème qui existe depuis de nombreuses années, et qui n’est pas près d’être solutionné.

« On le voit bien à chaque rentrée, on a plus de demandes d’entreprises qui cherchent des alternants que d’élèves qui souhaitent devenir couvreur-zingueur », explique Frédéric Vieuxbled, directeur des opérations de l’Éco Campus du bâtiment. Un secteur de plus en plus porteur, d’autant plus que les toits en zinc (78 % des toitures parisiennes), patrimoine ô combien symbolique de la Ville Lumière, nécessitent pour la plupart de sérieuses restaurations. « Un jeune qui ne trouve pas d’alternance à Paris en tant que couvreur-zingueur, il n’a pas fait l’effort de chercher », ajoute Estelle Taieb, assistante de direction pour le CFA Maximilien Perret.

Le professeur Éric Marie donne de derniers conseils à la fin de son cours. © Eloi Thouault

Si cet après-midi, il est surtout question technique, pour Éric, formateur depuis cinq ans à Maximilien-Perret, la transmission du métier va donc bien au-delà. « J’essaie de leur faire comprendre que le couvreur-zingueur est avant tout un gardien du patrimoine parisien. On répare, on restaure, on préserve ce que d’autres ont fait avant nous sur les toits de la capitale, explique-t-il avec sa voix rauque. La technique c’est bien, mais il faut leur transmettre l’état d’esprit du métier qui est assez corporatiste. » Et cette transmission commence par un rituel symbolique : le port par chaque élève du largeot, ce pantalon noir caractéristique des couvreurs. « Ce n’est pas qu’une question d’habit, c’est une manière d’intégrer nos apprentis à la profession, de leur montrer qu’ils font désormais partie de la famille des couvreurs-zingueurs », ajoute-t-il avec conviction.

Comme ses élèves aujourd’hui, Éric a fait ses premiers pas dans ce métier il y a 37 ans, au sein du même CFA. Alors, lorsque l’opportunité de transmettre son savoir s’est présentée il y a cinq ans, il n’a pas hésité « une seule seconde ». « Il est de mon devoir de léguer ce savoir-faire unique. Notre bible en couverture c’est la règle de l’art, c’est-à-dire le partage des connaissances de chef à apprenti, affirme-t-il. Beaucoup de mes élèves sont issus de l’immigration. Et j’ai vraiment à cœur de leur transmettre un savoir qui va leur permettre de s’intégrer et de réussir dans notre société. »

« Sur les toits, tu oublies tous tes problèmes »

Arrivé en France il y a deux ans, Adrian Cimpoï, 17 ans, originaire de Moldavie, s’affaire au fond de l’atelier sur une maquette de toit en zinc. Il la présentera prochainement au WorldSkills, une sorte d’Olympiade des métiers. « Elle n’est pas encore parfaite. Les soudures ne sont pas très propres », admet-il, concentré. L’année dernière, il a remporté le titre de meilleur apprenti de France. Toutes les entreprises ont voulu le recruter après sa victoire. Mais ce dernier a refusé pour rester dans la même entreprise que ses deux frères, eux aussi couvreur-zingueur. « Quand on vous dit, que la zinguerie c’est avant tout l’esprit de famille », sourit son assistante de direction, madame Taieb.

Adrian Cimpoï devant une maquette de toiture en zinc espère faire ce métier encore « longtemps ». © Eloi Thouault

« Pour le moment, c’est un métier que je compte faire longtemps, affirme Adrian. Tous les matins, quand tu montes sur les toits avec tes frères, c’est juste magnifique. Tu vois tous les paysages de Paris. Tu te sens libre ». Ces mots reviennent inévitablement dans la bouche de ces apprentis lorsqu’ils évoquent leur quotidien perché. « J’ai eu un moment dans ma vie qui n’était pas facile. Sur les toits, je reste concentré sur ma tâche et j’oublie tous mes problèmes », nous confie le jeune moldave qui continue de soigner sa maquette. À ces quelques mots, son professeur « monsieur Marie », placé à côté de lui, ne peut s’empêcher de laisser couler quelques larmes. « Moi aussi, le métier de couvreur m’a permis de sortir la tête de l’eau. Tu laisses tes emmerdes au pied de l’échafaudage, et pendant une journée tu admires la canopée parisienne. C’est incroyable », explique-t-il en essuyant ses yeux.

Si Adrian est venu vers ce métier par « passion », la profession continue pourtant de souffrir d’un « déficit d’image », déplore Gilles Mermet. « Il en faut du courage pour montrer chaque jour sur les toits de Paris. Et les gens le comprennent de moins en moins, observe-t-il. Au XIXe siècle, lors de la construction des bâtiments haussmanniens, être zingueur c’était bien vu par la société ». Dans L’Assommoir de Zola, le personnage de Coupeau, ouvrier-zingueur, est d’ailleurs présenté comme un héros du quotidien.

À chaque coup de marteau sur le zinc, c’est donc un peu de cette mémoire collective qui résonne dans l’atelier de l’Éco-Campus. Ici, entre les maquettes de toiture et les outils de soudure, ces étudiants assimilent un patrimoine qui leur survivra. « Le monde ne nous voit pas, mais sans nous, il prend l’eau », lâche Éric Marie dans un sourire. Et tant qu’il y aura des élèves pour enfiler le largeot et faire chanter le métal sous leurs doigts, alors ce savoir ne disparaîtra pas.