Emblématiques du 13e arrondissement de Paris, une partie des tours d’Olympiades vont bénéficier, dès cette année, d’une vaste opération de rénovation. Un coup de neuf plus que nécessaire pour les immeubles quinquagénaires mais qui fait poindre une inquiétude chez les plus modestes : celle de n’avoir plus leur place dans un quartier qui s’embourgeoise.
« Comment vous trouvez la vie dans une tour de 32 étages ? », demande une voix enfantine au micro de Radio Olympiades, la radio ultra-locale du célèbre quartier éponyme. Pour s’y rendre, rendez-vous rue de Tolbiac, dans le 13e arrondissement de Paris, en face de la célèbre fac brutaliste. Ensuite, empruntez un petit escalator coincé entre deux murs rouges en évitant les amateurs de parkour et vous voilà arrivé sur la dalle, une « ville dans la ville » à une dizaine de mètres de haut. Dans les « pagodes », ces échoppes au toit concave qui parsèment la place, tous les commerces nécessaires : une boulangerie, un Franprix, et bien sûr, un bar pour boire des coups entre voisins.
Si quelques « externes » s’aventurent sur la dalle pour faire des courses peu coûteuses au Lidl de la galerie marchande ou aller chercher leurs enfants à l’école maternelle coincée derrière Rome, une barre d’HLM, la plupart des passants vivent dans les célèbres tours. Là, tout en haut de ces immeubles, Paris s’étale. « Du Sacré-Coeur au Val-de-Marne », précise Joseph, dont la mère vit perchée au 28e étage de la tour Sapporo.

Construit dans les années 70′, le quartier est, sans conteste, l’une des zones résidentielles les plus élevées de la capitale. En tout, onze bâtiments, certains dépassant les cent mètres, et dont chacun porte un nom de ville olympique : Helsinki, Squaw Valley ou encore Grenoble. Selon le dernier décompte de la ville, plus d’onze mille personnes y résident, soit 6 % de la population totale de cet arrondissement longtemps délaissé du Sud-Paris.
Cinquante ans après sa construction, une partie des logements va subir une vaste opération de rénovation : dix ans de travaux chiffrée à 100 millions d’euros. Dès 2025, les deux tours ILN – à loyer intermédiaire – seront les premières, puis viendront les trois barres d’HLM, quelques années plus tard. Reste les six tours semi-luxueuses en copropriété, qui, elles, ont déjà fait l’objet d’un chantier privé quelques années plus tôt. Car, la dalle des Olympiades a bien une spécificité : la mixité sociale.
« La ville du quart d’heure avant l’heure »
Tout commence dans les années 60′. Depuis le début du XXème siècle, les rapports et constats sur l’insalubrité du 13e arrondissement de Paris s’accumulent, appelant à une refonte totale du quartier. Entérinée en 1959, l’opération Italie 13 doit couvrir 87 hectares de l’arrondissement, de Place d’Italie aux Maréchaux, dont le secteur des Olympiades. À l’époque, c’est une gare de fret, la gare Paris-Gobelins qui achemine charbons, matériaux et produits de consommation au tout-Paris. Avec la volonté de vitaliser le secteur, Italie 13 doit faire émerger 55 tours d’une trentaine d’étages chacune. Finalement, seules trente seront construites. Si la tour Super-Paris, surnommée « la Pile » à cause de son étrange silhouette cylindrique, ou encore la tour Périscope qui surplombe l’avenue d’Italie restent des constructions isolées, le quartier des Olympiades comprend, au contraire, un réel programme urbain politique.

À l’origine, la dalle n’avait pas vocation à devenir une espace sociologiquement disparate, pourtant l’architecte Michel Holley, dans sa maquette promotionnelle, a bien une « promesse » : « la ville du quart d’heure avant l’heure », comme la décrit Stéphane Juguet, anthropologue mandaté au printemps dernier par Paris Habitat pour réaliser une évaluation « sensible » de la vie sur la dalle.
Grand prêtre de l’urbanisme vertical – une théorie architecturale que l’on retrouve par exemple dans Neom, l’étrange projet de ville linéaire dans le désert saoudien -, Michel Holley souhaite non seulement construire onze tours – treize à l’origine – d’une centaine de mètres chacune, mais il veut aussi aménager une ville entière dans les sous-sols de la dalle, avec un école maternelle, piscine, bowling, ou encore, une gigantesque patinoire « qui change de couleur grâce à un jeu de lumières ». Outre les multiples activités, de nombreux services doivent être proposés aux habitants de la dalle : cuisine, ménage, garde d’enfants…« Un nouvel art de vivre », nous explique, en somme, le dépliant publicitaire. Seulement, cette utopie urbaine à destination des plus aisés se heurte bien vite aux réalités économiques d’un monde en récession.
1977. Un choc pétrolier paralyse l’économie occidentale. Sur le chantier des tours d’Olympiades, la perspective d’un tout-propriétaire inquiète les promoteurs. Finalement, le projet inclura des logements sociaux mais, par manque de moyens, les tours aériennes se transforment en barres d’HLM, moins coûteuses. Plus tard, Paris Habitat institue les ILN, ces tours à loyer intermédiaire. Résultat ? Un mix sociologique qui se croise tous les jours sur la dalle. « La contradiction de la dalle, c’est que, d’un côté, on a les CSP+ [catégories socio-professionnelles favorisées] des tours privées et de l’autre, certains vieux locataires des barres d’HLM qui font les poubelles pour manger, explique Éric Ansaldi, locataire de la tour Anvers depuis quinze ans et fondateur-animateur de la radio de quartier depuis 2016.

« J’avais l’impression qu’on me cachait quelque chose »
Dans la tour Sapporo, une tour en copropriété, par exemple, les prix grimpent, à l’image du parc immobilier engorgé de la capitale. Selon l’indice de la Chambre des notaires de Paris, le prix au mètre carré, dans la capitale, a presque triplé en trente ans, de 3 490 € en 1991 en moyenne à 9 520 € en 2024 pour un logement de type 3. « Ici, les appartements se vendent comme des petits pains », explique Noël, gardien de la tour depuis une dizaine d’années. « J’ai des docteurs, des gynécologues qui achètent des studios pour des centaines de milliers d’euros ». À l’intérieur, 253 appartements répartis sur 32 étages : du simple studio aux appartements luxueux des derniers étages, des duplex de plus de 150 m2.
Pour certains locataires des barres HLM, une inquiétude commence à poindre : celle de ne plus avoir sa place dans un quartier qui s’embourgeoise. « Les gens ont peur que les charges montent, ou qu’on les vire, mais ce n’est absolument pas motivé, explique Éric Ansaldi, ce sont des bruits de couloirs ». L’une d’entre elles, Joëlle, 72 ans, habite un des HLM de Rome depuis une quarantaine d’années. « Ça a beaucoup changé, explique-t-elle, des fois, je me dis qu’il faut que je parte, que je n’appartiens plus à la dalle ».
Dans le bâtiment, les espaces communs sont vétustes, l’ascenseur d’une autre époque. Pour Linda, une locataire, les rénovations sont « nécessaires » : « Non mais vous avez vu l’état des couloirs ? », s’exclame-t-elle, même si elle avoue faire partie de ceux qui craignent d’être « mis à l’écart ». « Une partie de ma famille ne parle pas bien français, ils ne savent pas ce qui se passe, alors quand j’ai entendu parler des travaux par des voisins, j’ai paniqué. J’avais l’impression qu’on me cachait quelque chose », raconte la jeune femme.
« Mixité joyeuse »
Pourtant, sur la dalle, la cohabitation semble être le mot d’ordre. « J’ai remarqué que les gens de la dalle étaient particulièrement heureux, il y règne une mixité joyeuse », résume Stéphane Juguet, qui a passé, pour ses recherches, une semaine en résidence dans un appartement de la tour Anvers. Le Nouvôcosmos, ce bar-restaurant branché qui étale ses tables en plastique sur les pavés de la dalle, est un point de ralliement privilégié du quartier. Ici, on se retrouve pour boire des verres, des IPA à la pression et des Spritz, comme des demi-panachés et des cafés noirs. « Le patron organise régulièrement des événements culturels, des concerts, des trucs cools pour les jeunes et les vieux se retrouvent le soir pour papoter », explique Éric Ansaldi. Comme lui, Stéphane Juguet remarque une « fréquentation très hétérogène ».
La raison de cette douce cohabitation ? Pour lui, c’est le côté « insulaire » de l’architecture qui, par moments, donne aux onze immeubles un air villageois. « C’est vrai qu’ici, on croise souvent des voisins, on sociabilise beaucoup », confirme Joëlle, qui, comme chaque soir, promène son chien, une voisine pendue à son bras. « Dans un micro-trottoir, je demandais aux gens ce que serait la dalle si c’était un dessert, et la plupart me répondaient la même chose : une île flottante », rigole Éric Ansaldi, dans son micro-studio radio aménagé dans un local de Squaw Valley.

Son but en 2025 ? Renforcer « le récit de territoire » et donner encore plus la parole aux habitants via Radio Olympiade. « Si c’est pas nous qui en parlons, c’est BFM et CNews. On veut à tout prix éviter ça », regrette-t-il. En général, le discours sécuritaire cible de préférence les quartiers sur dalle : on dénonce le « zonage », les petits trafics et l’ennui de jeunes isolés. Pour les habitants d’Olympiades, cette vision est fausse. « C’est très calme, ici. Comme partout, parfois, il y a des petits pépins », affirme Noël, le gardien de la tour Sapporo. Comme cette dame, qui rentre énervée après s’être fait arroser d’eau par un facétieux voisin. Ou comme les transactions de shits entre barres d’immeubles. « Mais, ça, c’est à chaque coin de rue à Paris, pourquoi ce serait différent ici ? »