Bien décidé à mettre en avant les cités de Paris et de sa proche banlieue, le fondateur du compte TikTok « Drône du tieks » revient sur la genèse et l’esprit de son projet.
A chaque vidéo, c’est le même procédé. Une minute, pas plus, accompagnée d’un morceau de rap français, lors de laquelle l’utilisateur (re)découvre une cité de Paris ou de sa proche banlieue. Il n’y a ni mépris, ni admiration pour le lieu. Juste « les quartiers tels qu’ils sont », revendique le fondateur du compte Tiktok « Drône du tieks ».
Le jeune homme tient à garder son anonymat. Pourquoi ? Car « les gens n’ont pas besoin de savoir si je viens du 92 (Hauts-de-Seine) ou du 93 (Seine-Saint-Denis) ». Drone du Tieks – quartier en verlan – veut parler à tout le monde, sans afficher d’appartenance à un quartier plutôt qu’un autre. Et puis, ne pas dévoiler son identité, forcément, « ça crée du mystère ». Pour Rue75, le créateur de contenu aux près de 800.000 likes sur TikTok revient sur les raisons qui l’ont poussé à filmer ces paysages urbains si singuliers.
Rue 75: Sur votre compte, vous proposez des « visites » des cités parisiennes, d’où vient ce concept ?
Fondateur du compte Drone du tieks : Drone du tieks n’est pas mon premier média. Je me suis déjà essayé à plusieurs projets, dont un autour du foot. Je connais bien les codes des réseaux sociaux et j’ai toujours eu un intérêt pour les belles images. Surtout celles faites au drone. Puis j’ai vu monter l’engouement de l’univers du rap sur les réseaux sociaux. J’ai vu du potentiel à combiner les deux avec le souci du beau.
«C’est un truc de communauté. On aime bien montrer d’où l’on vient. On est fiers avant de ne pas l’être.»
Je me suis lancé en juin 2023, et même si les premières vidéos ne faisaient pas beaucoup de vues, elles généraient ce qu’il y a de plus important : de l’engagement [le fait de susciter des réactions]. Très vite, j’ai eu des premiers commentaires qui me disaient : « va faire cette cité », « tu peux filmer celle de Vitry ? » Les utilisateurs réagissaient à mon contenu et en redemandaient.
Dans la biographie de votre compte, on peut lire « le guide de la cité ». C’est comme ça que vous vous définiriez ?
Plutôt comme un créateur de contenu avec une approche documentaire. Chacun fait sa propre lecture de mes vidéos, je n’interviens pas dedans et ne les commente pas. Le message de mon média, ce n’est pas : « la cité c’est dangereux ». Mon objectif, c’est de montrer les quartiers tels qu’ils sont. C’est un truc de communauté. On aime bien montrer d’où l’on vient. On est fiers avant de ne pas l’être.
Quel est le public de Drone du tieks ?
Je suis agréablement surpris de voir que mon contenu parle à des gens très différents et pas seulement à des jeunes, même s’ils composent la grande majorité de ma communauté. J’ai aussi des mères de famille, fières de voir leur quartier, ou des personnes âgées touchées par la nostalgie. Je lis souvent des commentaires comme : « Ah mais j’ai grandi ici, vingt ans après ça fait plaisir de revoir ces images».
Il y a également des profils plus atypiques comme des architectes intéressés par le travail d’urbanisme propre aux cités, et des célébrités qui partagent mes vidéos, comme le rappeur La Fouine ou l’humoriste Paul Mirabel. Il y a aussi beaucoup de récupération politique. Surtout de la part de partisans d’extrême droite qui profitent de mon contenu pour réagir en commentaires : « Ah c’est dégoûtant », « regardez ils vivent comme des animaux ». Mais c’est le jeu, il y a de tout.
Vous connaissez l’expression « bandeur de cité », qui désigne une personne qui idéalise les quartiers populaires ?
On est tous « bandeurs » de quelque chose, mais moi je ne suis pas que ça. Contrairement à ce qu’on peut me reprocher, je ne surfe pas du tout sur le côté « ghetto » ou « gangster ». Parfois je filme des détritus, parce qu’il y a en a. Je montre simplement la réalité. Je ne suis pas là pour dénoncer. Je rends honneur au quartier. Les autres médias ont tendance à se concentrer sur le négatif ou les « success story » de footballeurs. Il y a un entre-deux : les gens sont normaux.
«Je rends honneur au quartier.»
Lorsque vous allez filmer, comme les habitants perçoivent votre travail ?
Je fais attention à venir tôt le matin pour ne pas déranger, je suis discret. Le principal problème c’est les autorisations pour filmer au drone. On ne peut pas filmer partout, ni à n’importe quelle hauteur. À Paris par exemple, l’appareil se bloque automatiquement et ne décolle pas. Dans ces cas-là, je filme avec mon téléphone. Quand je filme au drone en banlieue, je risque parfois de lourdes amendes [les peines encourues peuvent aller jusqu’à un an de prison et 75.000 euros d’amende].
Les cités parisiennes ont-elles une identité différente de celles de banlieue ?
Au total, il y en a une trentaine à Paris et sa proche banlieue. Les parisiennes sont pour beaucoup faites de briques rouges, ce qui n’est pas le mieux pour mes vidéos. Si je vais à Porte d’Orléans ou à Porte d’Asnières, c’est un peu le même rendu, même s’il y a quand même des bâtiments très atypiques. Elles sont aussi moins abîmées que celles de banlieue. Si je tourne au fin fond de Sarcelles, ce n’est pas la même chose. Ce n’est pas une question de sécurité mais d’insalubrité et d’insularité. A part une épicerie, il n’y a parfois rien à plusieurs kilomètres.
Quels sont les prochains projets du compte ?
Je suis ouvert, je n’ai pas encore poussé le concept au maximum. Je vais sûrement l’ouvrir aux cités de province. Le goal [l’objectif], ce serait Marseille ! Je réfléchis aussi à plus intégrer les habitants dans les vidéos. L’important, c’est de garder cet esprit populaire et léger.
Propos recueillis par Louise Martins Gonçalves