« Je ne les cherche même plus, ça m’agace d’avance » : les horodateurs deviennent une espèce rare

L’évolution des pratiques et la lutte contre les voitures amorcée par la Ville tendent à faire baisser le nombre de parcmètres dans les rues de la capitale. Il n’en reste que 3700 aujourd’hui, au grand dam des élus de droite et d’une partie des Parisiens.

« Excusez-moi, vous savez où est l’horodateur ? » Engoncé dans son épaisse doudoune qui lui court jusqu’aux baskets, Ahmad vient de faire trois allers-retours entre sa voiture et le bout de la rue pour tenter d’apercevoir le précieux totem vert bouteille en bordure du trottoir. Mais rien. Sur près d’un kilomètre de la rue Notre-Dame-des Victoires (2e arrondissement), pas un seul parcmètre en vue. « C’est la première fois que je viens ici, et je ne sais pas trop comment faire », ajoute-t-il, visiblement embêté.

Il faut dire que l’horodateur, aussi historique que symbolique, tend à s’effacer du paysage parisien. On en recensait 8000 en 2016, contre 3700 aujourd’hui, d’après les chiffres de la Cour des Comptes et de la Ville.

Plus l’on s’écarte du centre de la capitale, plus ces bornes de stationnement se raréfient. Les 1er et 2e arrondissements comptent encore environ 7 machines par kilomètre carré ; à l’inverse, le 16e arrondissement – sans compter le Bois de Boulogne – est bien plus mal loti avec 1,5 distributeurs de tickets par km2, suivi de près par son voisin, le 17e (1,7). Relique en sursis ?

Pour la Ville, la baisse du nombre de parcmètres suit en corollaire celle des places de stationnement. En 2021, David Belliard, adjoint écologiste à la maire de Paris, annonçait la suppression de 70 000 emplacements d’ici la fin de la mandature, en 2026, ce qui représente, environ, la moitié des places existantes en surface (hors parkings privés et souterrains). « Moins de stationnements, moins d’horodateurs. Cela s’inscrit dans notre politique de réduction de la présence des voitures en ville », résume l’élu parisien.

Ce que reflète l’affluence des voitures dans Paris intra-muros : la circulation automobile a fléchi de 6,7 % entre 2021 et 2023, et de 54 % depuis 2002. Il faut dire que les Parisiens sont moins motorisés qu’auparavant : à peine un ménage sur trois possédait une voiture en 2019, contre presque la moitié en 1990, selon l’Insee.

« Le problème, ce n’est pas tant la disparition progressive des horodateurs, que l’on peut, à la limite, entendre, reconnaît Pierre Chasseray, délégué général de 40 Millions d’automobilistes. Mais leur baisse est brutale pour ceux pour qui le numérique n’est pas intuitif. » Les parcmètres laissent progressivement la place au paiement mobile.

Parisienne de toujours, Madeleine peine à s’adapter à ce basculement. « Je suis un peu perdue à chaque fois », souffle-t-elle en riant. La septuagénaire vient de garer sa voiture rue du Faubourg-Montmartre, à deux pas de la place de la Bourse (2e arrondissement). « Je ne cherche même plus les horodateurs, ça m’agace d’avance. J’étais au téléphone avec mon fils pour qu’il m’explique comment on utilise tous ces machins sur le portable. » Autrement dit, les applications gratuites à disposition des automobilistes, qu’elle découvre pour régler son stationnement : PayByPhone, Easy Park, Indigo Neo et Flowbird.

Ces quatre sociétés privées, mandatées par la Ville de Paris, jouent les intermédiaires dans la collecte des droits de parking. Mais s’y soumettre implique de communiquer des de données personnelles comme le numéro de plaque d’immatriculation, ou les informations de paiement. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) rappelle que ces pratiques doivent respecter la loi « Informatique et Libertés », avec des règles claires : limiter les données recueillies au strict nécessaire, garantir leur sécurité et informer les automobilistes sur leur usage, lesquels, selon la mairie, utilisent ces applis dans 70 % des cas.

« Que tous les usagers soient égaux devant le paiement du stationnement à Paris, sans être dans l’obligation implicite de maîtriser une application et d’avoir un compte bancaire connecte », dénonçaient, en décembre dernier, les élus Les Républicains et Centristes sur les réseaux sociaux. Leur vœu, déposé devant le Conseil de Paris pour exiger « le rétablissement des horodateurs de manière équitable sur l’ensemble du territoire parisien », a été rejeté dans la foulée.

David Belliard se défend de vouloir éliminer totalement les parcmètres. « Il n’y a pas de volonté de les faire disparaître. On veut en garder un minimum, un tous les 400 à 500 mètres. C’est la transformation des usages, notamment des smartphones, qui nous pousse à amorcer ce déclin. »

Derrière cette réorganisation, les recettes liées au stationnement explosent. « Le vrai problème, c’est la verbalisation qui va avec, pointe Pierre Chasseray. Pendant que vous cherchez un horodateur, les voitures équipées de Lapi (lecture automatisée de plaques d’immatriculation) tournent et verbalisent. »

Ces véhicules de contrôle, débarqués à Paris en 2018 – pour éviter les voitures ventouses et augmenter les inspections – ont permis de gonfler considérablement les revenus liés au parking payant : de 231 millions d’euros en 2018, ils ont grimpé à 335 millions en 2022, selon des estimations de la Ville. Car si les horodateurs disparaissent, la surveillance, elle, s’intensifie.