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Les commerçants dans l’air pollué du métro : « C’est atroce de travailler dans ces conditions »

Asthme, cancers du poumon, hypertension artérielle… Une étude publiée ce mercredi par Santé Publique France détaille les effets nocifs d’une surexposition aux particules fines. Et les commerçants dans les souterrains des transports franciliens y sont particulièrement sujet.

D’aucuns rechignent à acheter leurs fruits et légumes dans le métro parisien. D’autres y passent la journée, comme Aurélie*, vendeuse dans un magasin de bijoux, aux sous-sols de la Gare de Lyon (12e arrondissement de Paris). Les voyageurs défilent devant son enseigne mais ne s’arrêtent que peu pour flâner entre les rayons. Rapidement, elle évoque l’air pollué dans ce couloir de métro, qui la fait déjà tousser, à peine quelques jours après son embauche. Sa collègue, vendeuse ici depuis huit mois, a elle aussi eu des problèmes de respiration dès son arrivée dans le magasin. Pour elle, le constat est sans appel : « C’est atroce de travailler dans ces conditions ».

C’est que la liste de pénibilités pour ce travail est longue, entre déficience de lumière naturelle, nuisances sonores ou pollution de l’air. Cette dernière est particulièrement inquiétante : le taux de particules fines dans les enceintes ferroviaires souterraines est « en moyenne trois fois plus élevé que dans l’air extérieur urbain » selon l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) en 2022. Asthme, cancers du poumon, hypertension artérielle, AVC… Selon une étude publiée le 29 janvier dernier par Santé Publique France, la surexposition aux particules fines, parce qu’elles s’infiltrent profondément, a bien des effets nocifs.

Sous terre, ces commerçants n’ont pas tous conscience du danger auquel ils sont exposés. Abou*, 24 ans, a découvert son lieu de travail le jour de son embauche comme responsable d’un magasin de friandises dans la station Châtelet. Il n’a pas apprécié ce premier poste en souterrain – qu’il doublait dans une même journée avec ses études – au point de chercher rapidement ailleurs…. et de prêcher sa bonne parole à ses voisins vendeurs d’accessoires, de bijoux ou de souvenirs pour touristes et habitués. « Je leur conseille souvent : il vaut mieux arrêter de travailler ici, le plus important c’est la santé », dit-il.

Rares sont les études à qualifier le niveau de pollution de l’air dans le métro et le RER parisien dans le détail. Seule l’association agréée de surveillance de la qualité de l’air en Île-de-France Airparif s’y est attelée en novembre 2024, en analysant 426 quais de gares et stations. Le résultat : les deux tiers franchissent les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Plus grave encore, treize quais de gares et stations dépassent même la valeur limite de la réglementation française – beaucoup moins exigeante. Dans le détail, les lignes de métro 2, 5 et 9 sont les plus exposées aux particules fines.

Mais Airparif se place uniquement au niveau des utilisateurs. Son calcul se base sur une fréquentation d’une heure suffisante, à elle seule, pour outrepasser les seuils d’une journée entière. Un commerçant dans les enceintes ferroviaires souterraines passe, lui, forcément davantage de temps au contact de ces particules, même s’il se situe généralement loin du quai. La fréquentation, le nombre de correspondances, la longueur des tunnels, les types de rames de ventilation, la présence de portes palières ou encore la distance avec les quais influencent les niveaux d’expositions.

Excepté de rares cas, comme celui de Faramarz*, vendeuse dans une minuscule boutique de vêtements et bijoux littéralement cernée d’un côté par les quais de la ligne 1 et de l’autre par ceux de la ligne 6, dans les sous-sols de la station Charles de Gaulle – Étoile, à l’ouest de Paris. Depuis dix ans, elle est au plus près des conséquences de l’usure des systèmes de freinage, du frottement des roues sur les rails ou de la remise en suspension des particules à chaque passage, responsable en grande partie de particules fines. « Je n’ai eu pas le choix, répond-elle. Personne ne m’a jamais prévenu ».

Avant même l’étude de ce 29 janvier, Santé Publique France avait pourtant déjà estimé en avril 2021 que près de 40 000 décès étaient attribuables chaque année aux particules fines en France métropolitaine. Cette année, l’agence est entrée dans les détails en se penchant sur leur influence en termes de maladies respiratoires, cardiovasculaires et métaboliques. Résultats : en France, les plus petites de ces particules, les PM2,5, sont entre autres responsables, à partir de 35 ans, de près 4 000 nouveaux cas de cancers du poumon et plus de 10 000 cas supplémentaires d’AVC par an.

« Le problème est identifié depuis plus de 20 ans, dénonce Tony Renucci, directeur de l’association Respire, à l’origine d’une plainte contre la RATP sur la pollution de l’air. Mais les pouvoirs publics ont tout fait pour faire de la rétention d’informations ». Une enquête préliminaire sur le sujet, ouverte par le parquet de Paris, est toujours encore cours contre la RATP, et mené par l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP), pour « mise en danger d’autrui et tromperie sur une prestation de service entraînant un danger pour la santé de l’homme ».

Face à ce constat, la RATP ne nous a pas répondu directement et préféré transmettre « éléments sur le sujet. » L’entreprise affirme que « la qualité de l’air est une priorité (…) depuis plus de 25 ans » par le biais d’études en cours sur les matériels roulants des lignes les plus polluées (2, 5 et 9), le placement de QR dans les gares et stations pour faciliter l’accès aux informations sur la qualité de l’air, l’installation de trois nouveaux ventilateurs ces deux dernières années ou encore la recherche de solutions de filtration électrostatique, de captation et de fixation des particules.

En attendant, Sacha*, 23 ans, collègue d’Aurélie citée plus haut, continue de vendre des bijoux sous la Gare de Lyon, entre les lignes de métros et de RER. Elle n’a pas eu besoin de rapports ou d’études pour établir sa conclusion : c’est bien une profession « dangereuse » qu’elle exerce depuis huit mois, d’où son besoin de sortir à la surface à chaque pause accordée, d’où ses regrets d’une vie de bureau dont elle a toujours rêvé. Et de conclure entre deux annonces d’un train perturbé et d’un bagage perdu : « C’est un passage obligé pour comprendre ce qu’est un métier désagréable. »