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Le 13e arrondissement vibre au rythme du Nouvel an Chinois

Ce quartier de l’Est parisien, qui compte une forte population asiatique, s’est illuminé aux couleurs du Nouvel An Chinois ce mercredi 29 janvier 2025, premier jour du calendrier lunaire.

Perchée sur les épaules de son père, la petite fille se bouche les oreilles : la musique est trop forte. Son geste ne l’empêche pas d’admirer d’un air émerveillé la troupe de danseurs, revêtus de costumes de plume chatoyante, qui virevoltent au rythme saccadé des gongs et des tambours, ce 29 janvier, dans le 13e arrondissement de Paris. Ce mercredi marque le premier jour du Nouvel An lunaire et le début de l’année du serpent, symbole de sagesse et de renouveau dans l’astrologie chinoise. Cet événement fondateur dans la culture du pays prend une place prépondérante dans la vie de ce quartier de l’est du Paris, où la population asiatique est surreprésentée. 

Pour l’occasion, l’arrondissement se pare de milliers de fanions rouges, couleur synonyme du bonheur, et les rues s’ornent de lampions et banderoles célébrant la bonne année aux passants. Ce matin, ils sont des dizaines à s’agglutiner devant le supermarché asiatique Tang Frères, dont le porche est investi par une troupe de danseurs chinois. Suivant les percussions assourdissantes des cymbales, ces derniers effectuent la danse du lion, performance traditionnelle de la culture chinoise qui vient fêter l’avènement de la nouvelle année. Revêtus de costumes écarlates, les artistes, placés en binôme, se meuvent sous de beaux costumes de plume surplombés d’une large tête de lion en papier mâché, à la gueule grande ouverte. Cabrioles et pirouettes s’enchaînent sous les vivats de la foule. 

Christine, qui réside dans le nord-ouest de Paris, est venue dans le 13e spécialement pour l’occasion. «J’aime tout ce qui touche à l’Asie, et ces danses sont souvent pleines de joie, de couleurs », sourit-elle, perchée sur la pointe des pieds pour admirer la performance. À deux pas de là, Lian* opine du chef. Ce Chinois, originaire de Pékin, s’est installé en France il y a dix ans pour son travail. Mais l’entrepreneur ne manque jamais les festivités organisées à l’occasion du Nouvel an lunaire : « C’est ma culture, qu’on voit là, qu’on admire, j’en suis très fier, je filme tout pour envoyer à ma mère, qui est encore en Chine », s’exclame-t-il en pointant son appareil photo. Sur le trottoir qui sert de scène aux danseurs, les percussions s’intensifient. 

Ce mercredi marque le premier jour du Nouvel An lunaire. © Jeanne Durieux

Selon une légende de la mythologie chinoise, un monstre appelé Nian vivant dans les montagnes sortait tous les ans au Nouvel an pour attaquer les hommes. « Pour faire fuir la bête sensible aux bruits stridents, les villageois auraient joué des percussions sur des casseroles », raconte Lian. Cette tradition ancestrale est perpétuée dans le parcours du défilé, pour chasser les mauvais esprits et porter chance et prospérité à Tang Frères. Les lions qui effectuent moult pirouettes devant le magasin, ce mercredi matin, représentent ce fameux monstre affamé. 

Bien vite, le dirigeant de Tang Frères apporte aux danseurs qui virevoltent un plateau contenant des mandarines et une salade, primeurs qui symbolisent la chance, la richesse et la sagesse. Là encore, il s’agit également d’une référence au mythe fondateur de cette danse : « Les villageois auraient tendu ces produits aux lions pour apaiser leur faim », résume Carole, sino-japonaise à sa belle-fille de quinze ans qu’elle a emmenée voir le spectacle. « J’avais envie qu’elle comprenne l’importance de fêter le Nouvel an chez les Asiatiques », explique-t-elle. « Et c’est un très beau spectacle, qui exige beaucoup de préparation ! »

Florent Chee ne peut qu’acquiescer. Ce quarantenaire au sourire jovial est membre depuis quinze ans de l’association Paris Lion Sport, association qui pratique ces performances artistiques depuis trente ans. En sueur après sa prestation, l’artiste précise que cette danse nécessite des mois de préparation.  « On s’entraîne deux fois par semaine, toute l’année ; le Nouvel an chinois, c’est vraiment l’apothéose d’un travail intense », explique-t-il en buvant d’un trait sa bouteille d’eau. Sans pour autant ressentir de quelconque stress. « On est là pour profiter », lance son collègue Guillaume. « Quand on défile, c’est comme si la rue nous appartient. Tout le monde nous regarde la joie dans les yeux, donc on lâche tout », raconte son ami Vincent, le sourire aux lèvres.

D’autant que l’ambiance est bon enfant entre les artistes, dont les âges varient de 12 à 45 ans. Après la danse, des « bonne année » joyeux s’échangent entre les danseurs, qui se tapent dans le dos pour se féliciter avant de saluer la foule. «On constate un vrai regain d’intérêt pour ces danses traditionnelles, le public est toujours plus nombreux, surtout depuis le Covid, qui avait mis un gros coup d’arrêt à ces célébrations », témoigne ainsi Florent. « Les inscriptions, qu’elles proviennent de personnes d’origine asiatique ou non,  augmentent chaque année dans l’association : on prévient toujours les motivés qu’il faut être assidu, venir à chaque entraînement. La danse du Lion porte un vrai message, il faut la pratiquer avec rigueur. C’est un art, pratiqué assidûment en Chine », poursuit-il. Florent est ravi : cette année, les prestations de Paris Lion Sport ont été requises pour une centaine d’évènements. 

De quoi préparer les danseurs aux grandes compétitions de danse du lion, qui se jouent parfois à des milliers de kilomètres de là. Chaque année, l’association se rend en Malaisie, pour rencontrer son maître, Andrew Yap, danseur émérite et grand représentant de la danse du lion traditionnelle, et participer à divers concours. Le déplacement est également l’occasion de racheter des costumes, confectionnés sur place par leur fournisseur officiel. Le prix d’une tête de lion peut aller jusqu’à 800 euros, rapporte Florent. Leur prochain déplacement est prévu dans six mois, ce qui laisse « largement le temps de s’entraîner ! », sourit Guillaume. En attendant, tous ont hâte du prochain grand rendez-vous parisien : le défilé dans les rues du 13e arrondissement le 9 février, qui clôturera le nouvel an chinois. Joan, nouvelle recrue de douze ans dans l’association, ne cache pas son impatience. « On va en mettre plein la vue, c’est sûr ! »