Lors de ses mandats, la maire de Paris, Anne Hidalgo, a œuvré, à travers plusieurs aménagements urbains, à rendre la capitale plus accessible aux enfants. Mais des élus et des urbanistes appellent à repenser plus largement la ville pour véritablement l’adapter aux plus jeunes.
Le 16 mai 2024, à l’aube. Des employés de la mairie de Paris se sont hâtés aux abords du Boulevard Richard-Lenoir, dans le 11ème arrondissement. Armés de scies sauteuses, ils démontent les premières grilles du square May-Picqueray – l’un des quatre de la promenade. Des dizaines de policiers municipaux les protègent. Ils sont postés çà et là, formant un cordon sécuritaire pour empêcher des riverains venus en masse tenter de perturber les travaux.
L’origine de cette tension ? Un projet, porté par la mairie de Paris, qui prévoit de supprimer les grilles emblématiques de ce boulevard – réaménagé dans les années 1990 -, afin de permettre aux passants, sportifs et fêtards nocturnes de déambuler sans interruption de la place de la Bastille à Stalingrad, en passant par le quartier branché d’Oberkampf.
Le projet a été suspendu par le tribunal
Une proposition séduisante sur le papier, mais qui ne profite pas à toutes les tranches d’âge. Les structures de jeux des enfants, construites au cœur d’un vaste espace de détente jusqu’alors protégé par les grilles, devront, avec le nouveau plan urbain, être entourées par des grillages collés aux toboggans.
« Les gamins qui jouent au ballon, ça sera terminé. Il y aura des aires de jeux destinées aux tout-petits complètement fermées par des grilles entre deux fontaines, et les vélos qui passeront le long de la promenade créeront des problèmes de sécurité, cingle Sylvie Bonnet, présidente de l’association « Sauvons Jules et Richard ». Il n’y aura plus d’endroits calmes, c’est une dégradation de la situation. »
En mai dernier, à la suite des premiers travaux réalisés par la mairie, des riverains avaient placardé des flyers sur les structures de jeux nouvellement engrillagées pour continuer à s’opposer au projet. Leur slogan ? « Non aux enfants en cage ! ».

Quelques jours plus tard, le Tribunal administratif suspendait les travaux en réponse à un recours déposé par l’association. Malgré cette victoire, près d’un an après, la rancœur de Sylvie Bonnet n’a pas diminué : « Des milliers de gens avaient signé la pétition contre ce projet et la mairie a quand même voulu passer en force […] Au fond, ils s’en foutent complètement des gamins. »
Des rues devant les écoles réaménagées
Une affirmation qui laisse penser que dans la capitale, les familles peineraient de plus en plus à y trouver leur compte. A ce titre, Paris est une ville dont la population baisse depuis des décennies, comme l’ont confirmé les données de l’Insee de 2022 (-0,9% en un an), parues il y a deux mois.
Cette fuite se ressent d’autant plus dans les salles de classe. A la rentrée scolaire de 2024, l’académie de Paris comptait 2.000 élèves en moins que l’année précédente, et 30.000 de moins qu’il y a dix ans, rapporte une étude du rectorat publiée en octobre dernier. Au total, ce sont près de 190.000 élèves, âgés entre 3 et 18 ans et allant de la maternelle au lycée, qui étaient scolarisés dans un établissement de la Ville de Paris en 2021.
Même si l’exode de leurs familles est largement dû, selon plusieurs observateurs, au coût très élevé des loyers, les conditions de vie pour élever des enfants dans la capitale sont, elles aussi, régulièrement pointées du doigt.
Au point que la municipalité a pris le problème à bras-le-corps en lançant en 2020 les « rues aux écoles » ; un vaste projet de végétalisation, de piétonnisation et de sécurisation des abords de 300 établissements de maternelles et de primaires parisiens.
Les travaux ont donc été entrepris sous la mandature d’Anne Hidalgo, pour faire de la rue située devant chacune de ces écoles une « extension végétalisée et sécurisée de la cour de récréation, alors qu’elles étaient bétonnées avant les travaux », se targue David Belliard, adjoint à la mairie en charge de la transformation de l’espace public.
Un avis partagé par Mimi Ngombabu, mère d’un élève scolarisé dans l’école maternelle de la Présentation (20ème) : « C’est très bien ce qui a été fait. Il n’y a pas de voitures qui passent et ça permet aux enfants de se sentir en sécurité », confie-t-elle, tenant son fils par la main.

Pour David Belliard, cette sécurité passe aussi par un droit à respirer un air plus sain. Il est dorénavant interdit de fumer devant les établissements. Anaïs, 19 ans, animatrice à l’école Jules Ferry, dans le 12ème arrondissement, l’a elle-même bien intégré. Lorsqu’elle s’accorde une pause pour vapoter, elle s’éloigne à plus d’une trentaine de mètres du parvis de l’établissement. « C’est vrai que l’air est plus sain pour les enfants. Les passants aussi font attention à ne plus fumer devant. »

« Repenser la ville dans son ensemble »
Un succès populaire donc, que les spécialistes aussi saluent. Camille Krier est cheffe de projet au bureau parisien de recherche en urbanisme 6t. Elle estime que « l’initiative [rue aux écoles], prise au sortir du Covid dans une logique de déconfinement pour restreindre la circulation aux abords des établissements et permettre de les sécuriser, est intéressante ». En nuançant toutefois qu’elle « ne règle pas les problèmes de l’ensemble de l’itinéraire des déplacements. Les enfants ne sont toujours pas autonomes pour aller à l’école ».
Voilà justement l’une des raisons pour lesquelles Rodrigo Arenas, député La France Insoumise (LFI) de la 10ème circonscription de Paris, a publié un livret, « Paris à hauteur d’enfants », il y a quelques jours. Dans ce qui s’apparente à un programme pour les municipales de 2026, il formule plusieurs propositions pour « repenser la ville dans son ensemble et ne pas juste planter des arbres à certains endroits ».
L’élu, qui a été co-président de la Fédération des conseils des parents d’élèves (FCPE), avance qu’il faudrait « sécuriser l’ensemble du trajet d’un enfant : de son domicile à l’école ». Sur la base de concertations et d’études d’impact, les pouvoirs publics identifieraient les voies menant aux établissements sur lesquelles les « élèves se rejoignent ». Puis, à travers des « agoras de quartier », les riverains décideraient collectivement des possibilités d’aménagement.
Des exemples européens à suivre
Consciente qu’une piétonisation complète reste « un idéal à atteindre », Camille Krier réfléchit à des solutions intermédiaires. Comme « supprimer des places de stationnement pour augmenter la visibilité aux passages piétons », voire « surélever (ces derniers) à la hauteur du trottoir », afin qu’ils agissent comme dos d’âne et obligent les voitures à ralentir.
Un peu dans la lignée de la ville espagnole de Pontevedra, située en Galice, qui a mis en place à la sortie de la crise sanitaire des « routes scolaires ». Là-bas, « les principaux chemins empruntés par les écoliers ont été aménagés et sécurisés » et un programme de « lieu refuge » a été créé avec « des commerces partenaires dans lesquels les enfants peuvent s’arrêter pour s’abriter ou téléphoner à leurs parents », relate la spécialiste.
Un exemple à suivre ? Pour Rodrigo Arenas, certainement. Mais le quinquagénaire porte également la conviction que le bien-être des enfants dans la ville passe aussi par l’aménagement de davantage de squares. A ce sujet, l’insoumis cite l’exemple de la ville de Londres : « Là-bas, les squares n’ont presque pas de barrières et les espaces sont plus grands. Il faudrait faire pareil ici ».
Une chose vraie, mais aussi soumise à la structure de la ville, décidée il y a fort longtemps. En 2021, la superficie d’espaces verts ouverts au public à Londres était d’environ 45 m² par habitant contre 17,4 m² à Paris, relève l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur).
Aussi Paris est-elle peut-être condamnée à principalement attirer les étudiants et les jeunes actifs, venus trouver du travail dans un pays très centralisé. Entre 2021 et 2022, la seule catégorie d’âge pour laquelle le solde migratoire de la ville était positif est celle des 18-25 ans. Autant de potentiels futurs parents qui chercheront un jour plus d’espace pour s’installer. Mais à ce jeu-là, quoi qu’elle fasse, la capitale n’aura jamais autant à offrir que les villes qui l’entourent.