La circulation sans interruption des métros, RER, tramways et trains Transilien n’est pas envisagée par Île-de-France Mobilités, avant tout en raison de son coût trop élevé pour la région.
Parvis de la gare de l’Est, deux heures trente du matin. À -2 °C, les bus de nuit font trépigner d’impatience ceux qui attendent de rentrer chez eux. Plus connus sous le nom de Noctilien, ces bus sont le seul transport collectif nocturne d’Île-de-France. Une vingtaine d’hommes se bousculent violemment pour entrer dans le N42, qui vient d’ouvrir ses portes. « Regarde ! Il faut filmer. Ça fait dix ans que je prends le bus de nuit et c’est la première fois que je vois cette scène », lâche Sanchez, dépité.
Le jeune homme de 25 ans monte dans un bus plein. Il rejoint des amis à Pigalle avant de rentrer à Meudon, dans les Hauts-de-Seine. Le trajet dure une heure et demie contre une quarantaine de minutes de train en journée. Lors de rares occasions comme la Fête de la musique ou le Nouvel An, les transports franciliens restent ouverts entre deux et cinq heures du matin. « C’est une bonne idée. Si c’était possible de faire la même chose tous les jours, ce serait pas mal. Pour les métros automatiques comme les lignes 1, 4, 14… », évoque Sanchez.
Pendant sa campagne pour les élections régionales de 2015, la candidate de droite Valérie Pécresse – aujourd’hui présidente de région et du conseil d’administration d’Île-de-France Mobilités (IDFM) – avait promis l’ouverture des lignes de métro automatisées 1 et 14 toute la nuit le week-end. Une étude sur les transports publics nocturnes en Île-de-France est dévoilée un an après son entrée en fonction. Cette dernière, réalisée à partir de données recueillies en 2010 auprès de 18 000 franciliens par la STIF (aujourd’hui IDFM), conclut que le besoin « n’est pas avéré », et émet des propositions pour améliorer l’offre de bus de nuit. « Ma priorité est la sécurité, les trains et les RER. Je ne dépenserai pas l’argent que je n’ai pas », expliquait Valérie Pécresse après sa publication. Qu’elle concerne les métros, RER, trains Transilien ou tramways, la mesure est aujourd’hui au point mort.
« Faire circuler un train coûte beaucoup plus cher »
« Un choix a été fait », observe Bernard Gobitz, l’un des vice-présidents de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT) Île-de-France. Il est aussi l’unique représentant des usagers au conseil d’administration d’IDFM, l’autorité régionale organisatrice des transports. « La 14 est une ligne de métro automatique, donc ses coûts de fonctionnement sont moindres que sur une ligne manuelle. Elle est devenue un grand axe francilien donc on peut imaginer que certaines lignes, celle-là en particulier, pourraient fonctionner la nuit, le week-end », indique-t-il.
Pour autant, la Fédération n’en fait pas son combat. « Nous préférons qu’il n’y ait pas de trains la nuit, mais un bon réseau de bus. Il y a des progrès à faire », précise le vice-président. La FNAUT préconise notamment de « compléter le réseau Noctilien » en augmentant la fréquence des bus, et en facilitant leur desserte en banlieue. Mais Bernard Gobitz mentionne une autre requête. « Ce que l’on souhaite, c’est que la plage de fermeture la nuit soit la plus faible possible sur les lignes les plus chargées ».
Il se réfère aux lignes de RER, dont la A, lesquelles ne comportent parfois qu’une seule rame à partir de 21 heures. Ce choix est opéré par IDFM « en raison d’économies », selon le représentant des usagers. « On lutte contre ça. On veut absolument qu’il y ait deux rames jusqu’à la fin du service ou au moins jusqu’à 23 heures, parce qu’il est anormal d’être serré comme à 17h », affirme-t-il.
Cette même logique d’économies motive-t-elle la région Île-de-France à ne pas prolonger ses transports ferrés la nuit, notamment les lignes automatiques du métro ? « Elle est forcément importante. Faire circuler un train coûte beaucoup plus cher que faire circuler un bus », explique Bernard Gobitz. IDFM dispose pourtant d’un budget de 13 milliards d’euros par an. « C’est pas mal », commente-t-il. « Mais il y a un problème de coût qui n’est pas négligeable. Même s’il n’y a pas de conducteurs, il faut quand même qu’il y ait des employés », souligne l’administrateur.

© Marianne Barbosa-Anastase
Un climat social tendu à la RATP
La question de la disponibilité du personnel la nuit est d’autant plus importante pour la Régie autonome des transports parisiens (RATP), exploitant majoritaire du réseau francilien. L’entreprise est confrontée à une importante vague de démissions de ses chauffeurs depuis 2021. Couplée à la dégradation du réseau après Covid – déjà fragilisé par un manque de personnel – l’ouverture à la concurrence de ses réseaux de bus alimente plusieurs conflits sociaux entre les salariés et la direction.
« C’est pour ça qu’il y a eu une baisse de l’offre de bus et que la RATP a même été obligée d’embaucher des intérimaires, analyse Jacques Baudrier, membre du conseil d’administration d’IDFM et adjoint à la maire de Paris. Quand on a du mal à recruter et à garder son personnel, ce n’est pas le moment de développer des services en plus, qui impliquent des embauches. »
Dans ces circonstances, la prolongation nocturne du service n’apparaît pas comme une priorité. « Personne n’en parle jamais, non », lâche-t-il, avec un petit rire. « Ça devient déjà de plus en plus compliqué pour faire fonctionner les transports de jour. On pense qu’il faudrait au moins un milliard d’euros en plus par an pour bien faire fonctionner le système », détaille l’élu du groupe Communiste et citoyen.
Un constat largement partagé par Sanchez, jeune habitué du RER C. « Quand tu regardes les effectifs de la RATP en ce moment, ils disent qu’ils sont en sous-effectif. Je le vois très bien la journée : un manque d’exploitation peut arriver parce qu’il y a un manque de personnel. Alors pourquoi on va essayer de mettre les transports la nuit ? » interroge-t-il, peu convaincu.
Une possible ouverture en continu le week-end
Londres, New York ou Copenhague réussissent pourtant à faire rouler leurs métros de manière partielle les nuits de week-end, qu’ils soient automatisés ou non. Pourquoi pas l’Île-de-France ? Un argument est avancé par la région depuis une dizaine d’années, malgré la promesse de campagne de Valérie Pécresse en 2015.
« Ces centaines de chantiers [d’entretien et de rénovation] qu’on a la nuit font qu’on n’a pas forcément la capacité [d’ouvrir le réseau]. Sinon, on ne pourra pas aller vers la régénération dont on a besoin », affirmait en 2017 sur France 3 Stéphane Beaudet, ancien vice-président du conseil régional d’Île-de-France chargé des transports.
Michel Babut, le second vice-président de la FNAUT Île-de-France, explique de son côté qu’il y a « deux nuits de week-end où il n’y a pas de travaux, sauf exceptions ». Bertrand Hammache, secrétaire général de la CGT RATP, confirme que cette interruption a lieu le vendredi et le samedi, lorsque le service est prolongé jusqu’à 2h30 du matin. « Le réseau doit rouvrir à 5h30, ça laisse forcément peu de temps pour déployer un chantier », commente-t-il. Peut-on imaginer que les travaux d’entretien du réseau soient effectués la nuit en semaine, afin de permettre son ouverture en continu le week-end ?
« Techniquement c’est possible, mais ça ne peut pas être tous les jours », prévient le salarié de la RATP. Le souci technique rejoint le souci financier. Au bout d’un certain nombre de kilomètres, le matériel doit être révisé. « Plus on le fait rouler, plus on va réduire le délai entre deux maintenances. Il faudrait du personnel mobilisé tout le temps là-dessus, et de quoi faire de la maintenance sur ce matériel. Donc c’est vraiment une histoire d’argent », résume Bertrand Hammache. Un constat partagé par Michel Babut, qui évoque des « moyens supplémentaires » devant être engagés par la région Île-de-France. Cet argument est moins avancé par la collectivité, « pour ne pas dire qu’elle est en difficulté financière », assure le syndicaliste.
Les ouvertures nocturnes exceptionnelles se font dans le cadre du contrat entre IDFM et la RATP, qui autorise aujourd’hui cinq nuits de fonctionnement continu par an. Au-delà, il faudrait ouvrir « de longues négociations sociales », selon la FNAUT. Même si le sujet ne semble pas d’actualité, Bernard Gobitz reconnaît « qu’il pourrait effectivement être évoqué » au conseil d’administration d’IDFM, ne serait-ce que pour les travailleurs et travailleuses de nuit.

Un accès partiel aux transports peut aussi entraver le quotidien des franciliens les plus éloignés de Paris, notamment le week-end. « Ça nuit gravement à la vie sociale. Vous ne pouvez pas rester longtemps boire un verre avec vos potes parce qu’il faut prendre le train, puis le bus », raconte Anthony, un jeune habitant de Margency, dans le Val-d’Oise. « Ce que je trouve d’autant plus injuste, c’est que je vivrais dans Paris si je pouvais m’y payer un appartement. Mais souvent, les gens qui habitent en banlieue n’ont pas le choix ».
À la mairie de Paris, l’adjoint aux mobilités David Belliard admet que faire rouler les transports ferrés la nuit « n’est pas un sujet de grosse actu », bien que cette demande soit « très récurrente ». Il affirme que la Ville souhaite que les horaires d’ouverture du réseau soient élargis au maximum, en particulier les week-ends. La mesure ressurgira-t-elle lors des prochaines élections municipales de 2026 ? Affaire à suivre.
Marianne Barbosa-Anastase